Leguideinfo.net : En souvenir de la première incursion rebelle dans la ville de Gueckédou et à la mémoire des victimes, j’utilise ma plume pour faire un témoignage d’un fait historique et pathétique il y a 24 ans. Je rends en même temps un hommage mérité aux hommes et aux femmes qui ont défendu les couleurs de la patrie à Gueckédou.
La nuit du 5 au 6 décembre 2000, ce fut le tour surpris de la ville de Gueckédou, très proche du Liberia et de la Sierra Leone. Cette nuit a été spéciale, longue et très longue d’ailleurs pour tous les habitants de la ville. Surpris aux environs de 00h, les habitants de la ville de Gueckédou étaient obligés de se réveiller à cette minuit sous les tirs d’armes en provenance de la frontière avec le Liberia pour se sauver.
Habitant au quartier Sandia en plein cœur de la ville, j’ai vécu les faits en vrai acteur. J’ai faitdeux déménagements avant de trouver un dernier asile chez un certain Samuel Tôgbô TOLNO. Dans cette famille dont le domicile est situé à quelques mètres de la voie principale, nous avons tout subi dans l’anxiété et l’espoir.
Notre nuit a continué jusqu’à 9h, le temps pour des assaillants de se retirer de la ville. A 10h,nous avons risqué d’ouvrir la porte principale pour contempler ce qui s’était passé au dehors.C’était triste, cruel, odieux, terrible et pathétique. Aux environs de 11h, j’ai décidé de sortir de la ville pour sauver mon âme et c’était tout. Mais ce fut un chemin périlleux aussi après avoir passé une très longue nuit de terreur.
Deux images inédites ont troublé mon cauchemar. La première a été le passage à un barrage fait d’intestins humains au niveau du fleuve qui traverse la ville en allant vers Kissidougou. La seconde est la rencontre avec les Kamadjo, une milice locale serra léonaise de défense qui était venue protéger les populations civiles de la Préfecture de Gueckédou. La traversée de la ville était affreuse car les tirs sporadiques continuaient, les corps humains jonchaient les rues et partout sans compter les habitats incendiés et les engins roulants stationnés. Arrivés au camp militaire de la Préfecture, l’espoir du salut semblait être assuré mais hélas ! C’est un tir de sommation du B52 en place qui a dispersé les présents et chacun est parti dans la direction choisie.
Mon périple était de 37 kilomètres à pied vers la Sous-Préfecture de Guendembou. C’est auxenvirons de 21h que j’ai pu reposer ma tête à Dombadou, un village proche du chef-lieu de laSous-Préfecture. Au petit matin du 7 Décembre 2000, c’est dans ce même village que les informations données par la BBC ont fait saigner davantage mon cœur avec l’annonce de quelques 700 morts dans la ville de Gueckédou après le passage des assaillants. Les fausses rumeurs autour du sujet quant à elles, étaient le souffle de tout le monde.
J’ai poursuivi mon chemin jusqu’à Gbembédou où mon asile a duré 10 jours avant de continuer dans la ville de Kissidougou. Plus d’un mois en déplacement sans nouvelle de mes parents, c’est de Kissidougou que j’ai envoyé une photo à Gueckédou pour soulager mes parents au village. La joie était immense me racontaient-ils le jour qu’ils m’ont vu physiquement. Aujourd’hui après 24 ans, cet événement m’a donné trois grandes pistes de réflexion. Dans un premier temps, j’avais été intérieurement poussé au rejet définitif de revenir dans cette localité mais la présence de ma mère a empêché la mise en œuvre de ce projet.
Dans un deuxième temps, j’ai écrit et soutenu un mémoire portant sur les archives de laPréfecture qui ont été vandalisées par les mêmes assaillants pendant leurs différentesincursions à répétition. Ce mémoire a été édité en livre aux Editions Universitaires Européennes et est en vente en ligne.
Enfin, après le passage des assaillants et la libération totale de la ville, les promesses desautorités d’alors sont restées lettres mortes dans les annales de l’histoire car elles n’ont produit jusqu’à présent aucun effet sur le terrain. C’est pourquoi j’invite les ressortissants encollaboration avec l’Etat, le soutien des partenaires techniques et financiers et toute autrepersonne de bonne volonté à travailler en équipe pour redorer l’image de Gueckédou parl’élaboration et la mise en œuvre d’un plan Marshall de reconstruction de la cité qui tiennecompte des aspects géologiques, sociologiques et culturelles.
Ce sera l’occasion pour pousser la réflexion sur la stratégie à mettre en place pour réduiredrastiquement la survenue des épidémies multiples et simultanées dans la localité ainsi que des catastrophes naturelles qui continuent à endeuiller ses populations. Il serait égalementintéressant de procéder à l’inscription d’un élément de la Préfecture (site culturel, tradition oumonument) au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Gueckédou, terre d’hospitalité à l’image de sa nation, notre trésor infini.
Joseph Fodé TELLIANO, Administrateur Civil