Leguideinfo.net : depuis le 09 juillet dernier date de la disparition des activistes de la société civile guinéenne, Oumar Sylla dit Foniké Mengué et Mamadou Billo Bah, l’inquiétude grandit au sein de l’opinion nationale et internationale. Une inquiétude nourrit en partie par les communications des autorités de Conakry qui ne donnent aucun espoir aux familles et proches. Voici une nouvelle communication qui attire de nouveau l’attention de Conakry sur le sort de ces deux responsables du FNDC.👇
PALAIS DES NATIONS • 1211 GENEVA 10, SWITZERLAND
Mandats de la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme et du
Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires
Réf. : UA GIN 1/2024 (Veuillez utiliser cette référence pour répondre)
24 septembre 2024 Excellence,
Nous avons l’honneur de nous adresser à vous en nos qualités de Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme et Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, conformément aux résolutions 52/4 et 54/14 du Conseil des droits de l’homme.
Dans ce contexte, nous souhaiterions attirer l’attention du Gouvernement de votre Excellence sur des informations que nous avons reçues concernant l’enlèvement et la disparition forcée présumée des défenseurs des droits humains Oumar Sylla et Mamadou Billo Bah.
M. Oumar Sylla, alias Foniké Mangué, est défenseur des droits humains, membre de l’organisation Tournons La Page Guinée, et coordonnateur de la mobilisation du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC).
M. Mamadou Billo Bah est défenseur des droits de l’homme, coordinateur de la mobilisation du FNDC et coordinateur de Tournons La Page Guinée.
Le FNDC est un mouvement citoyen fondé en 2019 visant à protester contre l’adoption d’une nouvelle constitution permettant à l’ex-président Alpha Condé de se présenter pour un troisième mandat présidentiel. Il rassemble des associations et organisations de la société civile, des partis politiques et des syndicats. Le 30 juillet 2022, un mandat d’arrêt aurait été lancé contre l’ensemble des responsables du
FNDC. Quelques jours plus tard, un arrêté ministériel annonçait la dissolution du FNDC, le qualifiant de « groupement de fait » – une décision dont les membres du FNDC réfutent les fondements légaux.
Tournons La Page (TLP) est un mouvement qui promeut les processus démocratiques et la participation citoyenne.
M. Sylla a fait l’objet de trois communications précédentes, envoyées par des titulaires de mandat au titre des procédures spéciales le 12 octobre 2022 (GIN 2/2022), le 28 juillet 2021 (GIN 2/2021) et le 12 février 2021 (GIN 1/2021). M. Bah a fait l’objet d’une communication précédente, envoyée le 7 mars 2023 (GIN 1/2023). Nous déplorons que le gouvernement n’ait pas répondu à ces communications.
Selon les informations reçues :
Le 9 juillet 2024, M. Mamadou Billo Bah, M. Oumar Sylla et un troisième membre du FNDC auraient été enlevés à leur domicile par des militaires et des membres de la gendarmerie nationale armés et encagoulés, dont certains en tenue civile. Les défenseurs des droits humains auraient été battus et trainés au sol jusqu’aux véhicules militaires. Aucun mandat d’arrêt n’aurait été présenté.
Alors que le troisième membre du FNDC avait été libéré le lendemain, le sort de M. Bah et M. Sylla et le lieu où ils se trouvent resteraient inconnus. Ils n’auraient pas eu accès à un avocat ni à leurs familles.
Le 17 juillet 2024, le Procureur Général aurait publié un communiqué indiquant « qu’aucun organe d’enquête n’a procédé à aucune interpellation ou arrestation de qui que ce soit » et qu’« aucun établissement pénitentiaire du pays ne détient ces personnes faisant l’objet d’enlèvement. »
Le sort de M. Sylla et de M. Bah et le lieu où ils se trouvent restent inconnus.
Sans vouloir à ce stade nous prononcer sur les faits qui nous ont été soumis, nous exprimons notre profonde préoccupation par les graves allégations d’enlèvement et de disparition forcée du M. Sylla et M. Bah. Si ces allégations s’avéraient confirmées, le Gouvernement de votre Excellence aurait gravement violé les droits humains fondamentaux et ses engagements en matière de droit international des droits de l’homme, y compris la prohibition de disparition forcée et de détention arbitraire.
Nous rappelons que la prohibition de la disparition forcée a atteint le statut de jus cogens, et nous attirons l’attention du Gouvernement de votre Excellence sur la Déclaration des Nations Unies sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. La Déclaration établit qu’aucun État ne doit commettre, autoriser ou tolérer des actes conduisant à des disparitions forcées, et proclame que aucune circonstance quelle qu’elle soit ne peut être invoquée pour justifier des disparitions forcées.
Nous attirons l’attention du Gouvernement de votre Excellence sur les articles 6, 7, 9 et 16 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ratifié par la Guinée le 24 janvier 1978, conformément et en liaison avec l’article 2.3 qui garantissent le droit à la vie et à la liberté et à la sécurité de sa personne, et l’article 7, qui interdit la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le doit à la reconnaissance juridique, et le droit à un recours utile.
En ce qui concerne le droit à la vie, le Comité des droits de l’homme établit, dans son Observation générale numéro 36 (CCPR/C/GC/36 para. 57-58), que « le non-respect des garanties de procédure énoncées aux paragraphes 3 et 4 de l’article 9 et destinées notamment à prévenir les disparitions peut également constituer une violation de l’article 6 ». De même, le Comité observa que « La disparition forcée constitue un ensemble unique et intégré d’actes et d’omissions représentant une grave menace pour la vie. Le fait de priver une personne de liberté puis de refuser de reconnaître cette privation de liberté ou de dissimuler le sort réservé à la personne disparue revient à soustraire cette personne à la protection de la loi et fait peser sur sa vie un risque constant et grave, dont l’État est responsable. » Il constitue donc une violation du droit à la vie ainsi qu’une violation d’autres droits reconnus par le Pacte, en particulier par l’article 7, l’article 9 et l’article 16 (droit à la reconnaissance de la personnalité juridique).
L’article 9 garantit le droit de toute personne à la liberté et à la sécurité, y compris l’interdiction de l’arrestation et la détention arbitraire, le droit de toute personne arrêtée d’être informée, au moment de son arrestation, des raisons de cette arrestation, et le droit de toute personne arrêtée d’être traduite dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires. Nous rappelons que le Comité des droits de l’homme, dans leur observation générale n°35 (CCPR/C/GC/35), ainsi que le Groupe de travail sur la détention arbitraire, dans sa jurisprudence, ont précisé que toute arrestation ou détention d’un individu en raison de l’exercice légitime de ses droits et libertés garantis par le PIDCP peut être considérée comme arbitraire. Selon la jurisprudence du Groupe de travail sur la détention arbitraire, les défenseurs des droits humains constituent un groupe protégé dont les membres ont le droit à une protection égale de la loi en vertu de l’article 26 du Pacte. En outre, le Groupe de travail a conclu que la détention de défenseurs des droits humains en raison de leur qualité de défenseurs des droits humains est discriminatoire et, par conséquent, arbitraire.
Vous trouverez les textes complets relatifs aux instruments juridiques et autres standards établis en matière de droits de l’homme sur le site internet à l’adresse suivante www.ohchr.org. Nous sommes également en mesure de vous fournir ces textes sur demande.
Au vu de l’urgence du cas, nous saurions gré au Gouvernement de votre Excellence de nous fournir une réponse sur les démarches préliminaires entreprises afin de protéger les droits de M. Sylla et M. Bah.
Comme il est de notre responsabilité, en vertu des mandats qui nous ont été confiés par le Conseil des droits de l’homme, de solliciter votre coopération pour tirer au clair les cas qui ont été portés à notre attention, nous serions reconnaissantes au Gouvernement de votre Excellence de ses observations sur les points suivants :
1. Veuillez nous transmettre toute information ou tout commentaire complémentaire en relation avec les allégations susmentionnées.
2. Veuillez fournir d’urgence des informations sur le sort de M. Sylla et M. Bah et sur le lieu où ils se trouvent. S’ils sont privés de liberté, veuillez fournir des informations sur les raisons de fait et de droit de leur détention, l’accès des détenus à leurs familles et représentants, ainsi que sur leur état de santé.
3. Veuillez nous fournir les détails et, le cas échéant, les résultats de toute enquête et recherche ou autre qui ont pu être menées pour identifier les auteurs de l’enlèvement et la disparition forcée présumée des M. Sylla et M. Bah. Si le ou les auteurs présumés ont été identifiés, veuillez également préciser si des sanctions pénales ou des mesures disciplinaires leur ont été imposées.
Cette communication, ainsi que toute réponse reçue du gouvernement de votre Excellence, seront rendues publiques dans un délai de 60 jours sur le site internet rapportant les communications. Elles seront également disponibles par la suite dans le rapport habituel présenté au Conseil des Droits de l’Homme.
À cet égard, le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires peut également transmettre des cas dans le cadre de sa procédure humanitaire. Le gouvernement est tenu de répondre séparément aux communications générales des Procédures spéciales et à la procédure humanitaire du Groupe de travail.
Dans l’attente d’une réponse de votre part, nous prions le Gouvernement de votre Excellence de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la protection des droits et des libertés des individus mentionnés, de diligenter des enquêtes sur les violations qui auraient été perpétrées et de traduire les responsables en justice. Nous prions aussi votre Gouvernement d’adopter, le cas échéant, toutes les mesures nécessaires pour prévenir la répétition des faits mentionnés.
Veuillez agréer, Excellence, l’assurance de notre haute considération.
Mary Lawlor
Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme
Gabriella Citroni
Présidente-Rapporteuse du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires
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