Leguide.info: pour la première édition du journal rappé sur scène c’est le directeur général de la télévision Espace qui ouvre le bal des discours. Jacques Lewa Léno à bien voulu rendre un ultime hommage notre regretté Master G et au genre musical « le rap ».
Je veux me prononcer sur un art. La musique. Élément important de notre culture. Notre pays y trouve une armure. A toutes les circonstances, la musique est présente. Fête/Décès. Repos/Travail. Conférence politique/ Rencontre scientifique. Avant nous, à une époque très lointaine, elle a servi magnifier les hommes et leurs hauts faits. Des chansons cultes ont bercé les enfances et les jeunesses des siècles dernier et présent.
Je veux me prononcer sur un genre musical. Genre engagé et utile pour les sociétés. Je veux parler du rap. Le rap qui s’échappe des genres restés à la solde des fortunés. Des genres populaires assez mélodieux pour plaire. Des genres qui vantent même ce qui ne le devrait pas pour s’offrir le luxe. Des genres qui magnifient ceux qui trichent. Le Rap se donne une taille à la fin des années 90 et fut la branche radicale de l’opposition à un pouvoir en manque de perspective pendant la première décennie du 21ème siècle. Ce fut ainsi et en lui seul, un des moyens d’expression, pour ceux qui avaient fait le choix de porter la voix de ceux qui étaient inaudibles, mais aussi un art qui reprenait le flambeau de lutte pour la liberté, cette fois à l’interne, comme les écrivains des années post indépendances en Afrique.
Oui. Les hommes du ghetto comme on les appelle. On aurait dû dire, les hommes libres. Parce qu’en effet, ils ont osé dénoncer les tares de notre administration corrompue. Notre administration restée longtemps inefficace face aux sollicitations de la majorité de la population pauvre et méprisée. Le hip hop a fait ce combat des plus difficiles, aux côtés de la presse libre. Tout comme les hommes de médias ; nos aînés, les hommes du ghetto se sont attaqués avec véhémence aux discours mensongers. Pour que notre pays sorte de sa léthargie, ils ont dû pour certains, passer par la prison. Sans arme, ils ont gagné la bataille de l’époque, en faisant prendre conscience du danger de la tartuferie des palais. “L’action du théâtre comme celle de la peste est bienfaisante, car poussant les hommes à se voir tels qu’ils sont, elle fait tomber le masque, elle découvre le mensonge, la veulerie, la bassesse, la tartufferie.”disait Antonin Artaud dans le théâtre et son double. Chez nous, le théâtre et le cinéma avaient déjà été détruits, seul le hip hop pouvait jouer ce rôle. Et c’est bien parce qu’ils nous volaient nos biens et emprisonnaient nos proches, mais nous les acclamions, la peur au ventre. Le rappeur français Ken Samaras résume bien ce paradoxe en ces termes « Personne ne vole plus que le maire, mais c’est toujours les miens qu’on descend » fin de citation. Des jeunes qui les ont admirés, ont repris leurs textes sous les balles des bidasses du deuxième régime aux abois.
Je veux rendre hommage à un homme. Je veux nommer Blaise Bakaly Zoé Béavogui. Et bien je veux magnifier un surnom : Master G. Notre artiste. Votre artiste. Celui qui s’est illustré dans les médias du monde avant tous les activistes du moment, comme étant la véritable voix des sans voix en Guinée. L’activisme dans sa forme actuelle, n’était pas encore bien compris, s’il vous plait. Il fait partie des premiers activistes, combattant contre le vol, le tripatouillage des élections et la mauvaise gouvernance en Guinée dès la première décennie de ce siècle. Nous devons le lui reconnaître. Il est l’auteur, de l’album à succès : on n’est pas fou, des titres : élection Bataly, Nouvelle Guinée, Juste une idée et bien sûr, J Suis pas né dans un château, pour ne citer que ceux-là. Il est de la deuxième génération du Hip Hop, plus audacieux et plus audible. Des titres anciens pour certains, nouveaux pour d’autres, fruit d’une analyse murie de la situation de notre pays de l’époque qui ont été d’une précieuse contribution à la lutte pour la qualification de la gouvernance en Guinée. Cet engagement est resté sans répit.
Alors la collaboration : tout est parti de son coup de gueule sur un réseau social : « je veux quelqu’un » écrivait-il « qui va produire mon journal rappé ». Et de l’attention du DG d’Espace TV de l’époque Moussa Moise Sylla (à qui nous témoignons toute notre reconnaissance), qui l’invita à une discussion au tour de cette idée folle qui apparaissait à la limite irréaliste. Et très vite, grâce à l’implication du réalisateur Daouda Yattara, le premier numéro a été produit, dans les conditions difficiles certes, mais il a touché les cœurs des jeunes. Le Journal Rappé n’a pas eu besoin d’une saison pour s’illustrer parmi les meilleurs rendez-vous d’informations sur Espace TV. Et même du pays. Dois-je vous le dire, du premier numéro, à celui précédant sa première hospitalisation, il n’a pas manqué un seul rendez-vous de ce programme. Lui et son frère Klimpoko, l’autre légende, sont devenus, de véritables leaders qui ont reçu et encadré plusieurs amateurs du rap, à l’image de OFK qui a repris le lead de la version française de cette édition. De là où il est et au nom de toute l’équipe d’Espace TV, je voudrais lui dire merci.
Chers parents de Monsieur Blaise Béavogui, soyez fiers du parcours de Master G. Notre Master G. Votre Bakaly Zoé. Il a laissé en héritage des albums à foison. Parce qu’en réalité et nous devons tous le savoir, chaque édition du journal rappé, est un album en miniature. Et donc chaque mois, quatre mini albums, de titres et de contenus différents. Si nous prenons le temps qu’il a fait à l’antenne avant son rappel à Dieu, c’est environ 250 mini albums qu’il a produit avec ses collègues. Des albums qui demeurent à jamais dans les archives du groupe Hadafo Médias et sur les plateformes digitales. Ne pouvait faire ce travail, qu’un passionné, un travailleur comme lui. Produire un seul titre de musique, je ne suis pas spécialiste, mais je le sais, puisque j’aime écrire, demande du temps, de l’inspiration et de la détermination. Surtout qu’on sait dans leur cas, que ça ne rapporte pas d’argent. Ils ne font des éloges de personne. Alors c’est curieux n’est-ce pas, d’apprendre que cette équipe fondée par Master G et Klimpoko est capable de produire chaque semaine, presque un album différent, alors que les artistes mettent des années pour en produire un seul. Je le dis pour Klimpoko aussi, notre patron dit avoir calqué les Grandes Gueules, notre émission, en s’inspirant du groupe Sémbèdèkè et de son titre à succès « Vive Menguè Nènè ». Ils ont inspiré largement au-delà du monde musical. Mon équipe est fière de ces jeunes artistes, futurs Master G de notre pays.
Ce spectacle que nous avons voulu exceptionnelle lui est dédiée, mais aussi à tous ceux qui l’ont aimé et continuent d’admirer son œuvre oh combien exaltante, ici-bas.
Bonne soirée à tous.