Leguide.info: Les études n’ont pas été que ça pour nous autres ! On a dû gérer beaucoup d’autres situations : humiliations, moqueries, regards dédains…Tout ça parce qu’on était régulièrement les causes des interruptions de cours du fait que nos frais de scolarité retardaient.
Interpelés, indexés, filmés par des regards aux filtres odieux, puis guidés de façon avilissante par un simple doigt du contrôleur qui nous montrait notre place : hors de la classe et de l’école, c’est la place des enfants d’en bas. Ils sont encore nombreux aujourd’hui, à des standards vertigineux, malheureusement. Et nous étions les « renvoyés » quand c’étaient les plus courtois qui parlaient de notre absence involontaire, les « virés » lorsqu’on était objet de discussion des filles à papa dont l’environnement bourgeois de la classe s’altérait par la présence poussive de nos tronches de pauvres arrivés, ou encore les « vidés » lorsque le malheur faisait coïncider une descente inopinée des contrôleurs à nos trousses avec un jour de classe plus propice pour concert de rock que d’échange de savoirs, jour que nos « Colombiens », ceux du séant de la salle, raffolaient ; et avec eux, on était les « vidés ». Voilà ! C’étaient nos quotidiens variés – nos bails, comme on le dit aujourd’hui.
Mais, sérieusement, d’où venaient nos frais de scolarité lorsqu’il fallait éviter le régime d’autant d’expulsions que de jours de cours ? Cet argent est un mythe pour les cadres que nos devenons. On peut oublier les bonbons offerts et même les marques de céréales servies, mais l’enfant du frigoriste de Dabondy, de la femme de chambre de Kipé, de la « Faninkola » de Coyah, du vigil de Pita, du technicien de surface de Boké, de la vendeuse de bouillie de Kankan, du bagagiste de Macenta, ce garçon-là, cette fille-là, ces enfants ne peuvent jamais oublier la valeur et le poids de ces montants arrachés à la cruauté de la vie et dissimulés au lorgne de la faim pour tomber dans les caisses de nos écoles pour notre plus grand bonheur.
Seulement après ce dénouement qu’on savait trop facilement révocable par le temps, nous pouvions alors nous occuper de la mise à jour des cahiers et tenter d’évacuer ou de réparer les dégâts psychologiques causés par l’infortune hebdomadaire ou mensuelle essuyée par nos dignités sans défenses (à l’exception de la sympathie mimiques exprimée avec impuissance coupable sur le visage de l’enseignant du jour) au moment où le mouvement de l’index xénophobe du contrôleur, nous remettait à nos places.
Nos frais de scolarité sont les globules du sang de nos parents. Sang, pas sueur : cet argent venait de tous les combats du monde, via toutes les peines, pour atterrir d’un côté dans les poches vagues des pères et, de l’autre, entre les tenailles du noeud-fort des pagnes d’une mères. Cet argent venait des carrières de sable et de graviers, de l’obscurité glaciale de l’aube des marchés, de la rouille de charbon, des fonds cassés du sol, des eaux mousseuses et colorées par les vêtements à laver pour quelque aisé, du décroissement douloureux de l’épaisseur des crânes porteurs de bagages… L’argent de notre scolarité ne se cherchait pas, non. Chaque franc se gagnait par un pari singulier du parent contre sa tranquillité, contre sa paix physique, contre même sa vie. Non, il n’a été que questions d’études, c’était aussi avant tout une affaire de survie, tout simplement ! Survivre et sauver ce qui reste de notre personnalité sonnée par plus d’une décennie d’acrobaties cérébraux.
Ô Seigneur ! ait pitié de nos parents qui ont affronté le pénible pour notre instruction, et qui, dans certains cas, se sont rabaissés à bien de choses, à beaucoup de souffrances pour rester pudiques pour les hauts droits de l’homme (ne jamais dévoiler, même dépassée, une galère excessive).
Merci beaucoup à nos rois, les chers pères. Et que dire de nos reines, les très chères mères ? Et, évidemment, aux côtés de parents, beaucoup d’autres personnes auront participé à la traversée de cette longue période d’apprentissage pas comme les autres. Merci pour tout.
Par ailleurs, le monde professionnel nous intéresse pour quelques conseils : lorsque les gens, par la grâce de Dieu, traversent donc ce fleuve incertain (où beaucoup d’amis se sont noyés soit par démission soit par dépression), et que la logique du mérite entre l’effort et le résultat se manifeste pour leur donner où gagner leur vie, de grâce, ne soyez pas ceux et celles qui constituent les causes de leur malheur : parce le malheur absolu de ces anciens « enfants d’en bas », statut qui ne change pas souvent d’ailleurs quand ils deviennent des cadres, c’est de tomber. Évitez que, par vos décisions ou vos combines, qu’ils tombent. Pour eux, en tout cas pour la plupart d’entre eux, tomber signifie chuter. Leur résilience s’est amochée par l’odyssée de l’impitoyable cursus score dans lequel ils ont tout donné de leurs forces de résistance et de relance.
Abdourahmane Sénateur Diallo, journaliste, auteur, blogueur.